6 juillet 2011

One night in Crazyland



Je me préparais à un week-end tranquille, sans ados, et avec une quantité déraisonnable de sushi roulé de mes petits doigts agiles quand le téléphone sonna. A l'autre bout du fil une ancienne connaissance. Un copain de longue date, dont je n'avais plus de nouvelles. Enfin un copain. With benefits. Bien sûr je suis une lady et j'ai de grandes amours déchirantes et passionnées, mais parfois, quand tout est calme sous la lune, je me laisse tenter par des plaisirs plus éphémères. Donc mon ami, ravi de constater que j'étais à une période de ma vie où je m'étirais lascivement uniquement dans les bras de saumons lubriques saupoudrés d'une pincée de wasabi m'invita à l'accompagner passer le week-end dans le Nord du pays, là ou tout est vert et frais et féérique de beauté bucolique. J'embrassai donc mon saumon dépité sur son museau iodé, jetai quelques kilos d'habits qu'il n'y avait aucune chance que je puisse tous porter, même si j'avais du rester partie une bonne décennie et nous nous mîmes en direction de l'air frais, du Jourdain, des montagnes rieuses et des tournesols ondoyants sous le soleil.
L'ami en question était un gentil garçon, un peu bizarre, renfermé mais hilarant, solitaire mais doté d'une pensée originale et d'encore autres qualités que, pour des raisons de pudeur, je ne développerai pas ici. Je ne l'avais pas vu depuis quelques mois, mais je gardais le contact, de loin en loin. Pendant le voyage, il insista pour que je jette un œil dans son ordinateur portable où se trouvaient en mémoire des films qui devaient, selon lui, me faire tomber à la renverse. Je soupçonnais le plan Youporn et je regardais par curiosité. Les films en question étaient en fait de longs plans de sa maison, autrefois pimpante, maintenant recouverte de feuilles d'aluminium du sol au plafond. Un vrai Christo d'appartement. J'éclatais de rire. Il me regarda d'un air qui calma immédiatement mon hilarité.

Nous arrivions au petit cottage dans la forêt. La nuit tombait, les alentours étaient silencieux et surtout déserts. Je frissonnai. Il m'expliqua le plus sérieusement du monde  que ses voisins, avec qui il avait un vieux différent de parking avaient décidé de le rendre fou en installant chez lui des diffuseurs de rayons ultra-violets et qu'il avait réussi à les détecter en recouvrant les murs d'aluminium. Les voisins, redoutables persécuteurs, avaient aussi  réussi à infiltrer sa télévision, son ordinateur et son téléphone. Je m'apprêtais à demander ce qu'il en était du micro-ondes, mais quelque chose m'arrêta. Son regard halluciné je suppose. Il était lancé et rien ne pouvait l'arrêter. Il m'expliqua où regarder pour voir les formes en 3D sur les murs. Je me mordais les lèvres pour ne pas hurler de rire. Ou de terreur. C'était fascinant.
Je ne savais pas quand exactement quand la maladie s'était déclarée, mais elle avait évoluée à une vitesse prodigieuse. Il y avait à peine quelques mois, c'était un aimable original, mais rien de pathologique. Je commençais à me demander ou était la cave où j'allais finir ligotée, voir découpée en rondelles quand il me proposa d'aller manger. Il trainait partout de grands sacs remplis de "preuves" qu'il accumulait et qui devaient servir à confondre ses ennemis. Je tentai de lui dire qu'ils ne savaient sûrement pas où il était, au milieu de nulle part. Il me regarda avec un air de commisération qui exprimait toute la pitié qu'il avait pour ma naïveté. Au restaurant, il m'expliqua que les formes en 3D le poursuivaient, les rayons étaient dirigés vers lui afin de lui "griller le cerveau". Je regardais avec envie la chantilly qu'il s'ingéniait à étaler dans son assiette, afin d'en annihiler les effets cancérigènes qu'"ils" lui avaient donnée.
C'était effrayant et fascinant. Je ne me sentais pas vraiment en danger, pour l'instant j'étais l'alliée à qui on dévoilait "le complot" mais je ne savais pas combien de temps je pourrais tenir avant de lui expliquer qu'il était malade et qu'il avait besoin d'aide. Nous rentrâmes, lui, moi, les sacs et les rayons ultra-violets au cottage et nous préparâmes à dormir. J'étais épuisée, mais j'hésitais à m'endormir, de peur qu'il n'essaie de m'étouffer avec un oreiller, parce qu'une forme dotée de la parole le lui avait enjoint. Puis je prétextai avoir chaud, pris quelques couvertures et partis dormir sur la terrasse. Il continuait à tourner dans la chambre, se parlant à voix haute, collant des feuilles d'aluminium sur le mur et autres passionnantes activités.
Au matin, le délire reprit de plus belle. Je perdis patience et lui dit ma façon de penser, comme si ca ne faisait pas bientôt 10 ans que je finissais ce foutu diplôme de psychologie, comme si je ne savais pas que ça ne servait à strictement rien et que c'était comme parler à un mur. Mais mes nerfs lâchaient, je voulais rentrer chez moi, et le délire n'avait fait  qu'escalader. J'avais tellement pris sur moi depuis la veille que mon cœur battait trop vite, je respirais mal et j'avais des tremblements.
Dans un cas comme celui-là, où on n'est pas du tout préparé, même si logiquement on se rend compte qu'on a affaire à un malade, il y a un temps d'écart entre la compréhension intellectuelle et la compréhension émotionnelle. J'eus à plusieurs reprises l'impression d'être moi-même complètement folle, isolée avec un psychotique, coupée de mes repères habituels. Et puis il y a aussi cette peine à voir quelqu'un qu'on a bien connu se désintégrer totalement, jusqu'à ce qu'il n'en reste que des phrases confuses et sans logique, une pensée embrouillée et décomposée.
 Quand il comprit que je mettais en doute ses élucubrations, il se mit à hurler, à m'expliquer que j'étais "leur" complice, que je n'étais là que pour le détruire, que j'étais une menteuse manipulatrice et autres invectives colorées. Puisque c'était ainsi, il me ramenait chez moi. Le voyage de retour fut tendu, je restais silencieuse, chose qui ne m'était pas arrivée depuis ma naissance. Il profita de ma passivité verbale pour recouvrir le plafond de la voiture de scotch, afin de neutraliser les effets des rayons implantés dans la carrosserie.
A peine arrivée, j'ai bondi vers ma voiture et je me suis sauvée. Je ne suis pas sûre de ce qu'on fait dans ces cas-là. Le signaler aux autorités? Après tout, il ne m'a pas agressée physiquement et il a parfaitement le droit de décorer sa maison avec de l'aluminium si ca lui chante. J'ose espérer que sa famille, avec qui il a coupé tout lien puisqu'ils font partie du "complot", finiront par le forcer aux soins dont il a besoin. Et dire qu'avec tous ces ultra-violets, je n'ai même pas bronzé.



4 commentaires:

  1. Oh... J'ai croisé son clône, il y a quelques mois !

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  2. étincelant comme d'habtitude :)

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  3. ne pas le signaler frole la non assistance à personne en danger.

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  4. Le signaler n'est pas si simple. Le signaler a qui d'abord? Il n'enfreint pas la loi, il a une famille qui peut le cas echeant demander l'internement. Je ne suis qu'une etrangere. Et parfois meme, je me demande si je n'ai pas reve, tellement ca me parait enorme

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