13 juillet 2011

Les filles de la nuit


Il y a des nuits où elles viennent me voir. J'essaie de m'endormir, mais le sommeil, indocile, gambade sur les murs de la chambre et refuse obstinément de se coucher gentiment près de moi. J'essaie de faire le vide, mais justement, elles adorent le vide et elles sont friandes de nihilisme. Je sens bien qu'elles arrivent, qu'elles s'installent, qui sur une chaise, qui au pied du lit, qui farfouillant dans l'armoire. Je fais semblant de ne pas remarquer leur présence. Elles sont volatiles et imprévisibles, mais quand elles se sont enfin installées, plus moyen de s'en débarrasser. Elles sont venues réclamer leur dû. Je sais alors que j'ai perdu et que la curée va pouvoir commencer.


C'est toujours la geignarde qui ouvre le bal des démons. Elle adore ça. Elle se repaît de ses jérémiades comme un vampire du sang frais:
-         Je ne comprends pas! Pourquoi la vie est-elle si difficile? J'ai tout essayé et rien ne marche. Et si je reste seule jusqu'à ma mort? Qu'est-ce que je vais devenir? Je vais me friper, devenir grosse et moche et mourir de solitude. Ou d'un cancer, avec tout ce que je fume. Et qu'est-ce qu'il va se passer quand les enfants quitteront la maison? De toute façon ils s'en tapent. Et puis je suis une mère épouvantable, c'est bien fait pour moi. J'ai raté ma vie, c'est horrible!

Elle est interrompue par une voix cassante et railleuse. Celle-ci est cynique et dure, elle ne croit plus à grand-chose, ou du moins c'est l'impression qu'elle donne. Elle ne s'épanche pas, elle attaque, le regard hautain et un rictus moqueur au coin des lèvres:
-         Tu n'as pas fini de t'apitoyer sur ton sort? Tu fais ça tellement bien, tu devrais passer ton diplôme de geignarde professionnelle. Contrairement à toi, je me débrouille très bien mon cœur. J'ai une carapace très résistante. Ce monde est un théâtre de marionnettes, regarde-les s'agiter tous ces pantins, prétendants être heureux et crevant de peur à l'intérieur, tétanisés de doute et n'ayant aucune idée de ce qu'ils font. Quelle hypocrisie. Je ris de les voir si pathétiques. Crois-moi, personne n'est heureux, c'est un leurre. Il n'y a pas de bonheur, il n'y a que la survie et l'attente de la mort.

Une petite voix s'immisce dans la conversation. Fragile, apeurée, hésitante:
-         Je suis perdue, j'ai peur de l'avenir et des gens. J'ai peur qu'on m'abandonne et qu'on me laisse pleurer dans le noir. J'ai besoin qu'on m'aime, qu'on me câline, qu'on prenne soin de moi. Je être la personne la plus importante de quelqu'un.

La philosophe, d'une voix posée et sereine, la rassure:
-         Ne pleures pas petite, tu dois comprendre que tout ce qui t'arrive te renforce, t'apprend quelque chose sur toi et sur le monde. La vie est comme une haute montagne que tu dois escalader. Parfois tu glisses, tu dégringoles, et tu peux te faire très mal. La prochaine fois, tu sauras mieux comment te rétablir, comment panser les blessures, et surtout, ne compter que sur toi. La dépendance est destructrice.

Une voix en colère se met à hurler:
-         Qu'est-ce que c'est que ces conneries! Vous avez pas bientôt fini avec vos discussions stériles et vos mots creux? Rien n'est juste, rien n'est une leçon. On m'a blessée, et pas qu'une fois. Je veux me venger, je veux que quelqu'un paye et souffre comme j'ai souffert!

Un rire rompt le silence qui s'est fait après les cris de haine. Elle parle d'une voix amusée:
-         Allez les râleuses, vous en avez pas marre? Franchement, c'est chouette ici, la plupart du temps. Vous me faites marrer avec votre désespoir, votre rationalisation à deux balles, vos colères bouillantes, votre pitié larmoyante. Moi je ris souvent. Avec les enfants, les amis, les amants quand il y en a, je danse, je mange, j'écris, je dessine, je sautille d'enthousiasme à l'approche de l'été, je regarde les étoiles me faire des clins d'œil.

Elles se taisent enfin. Elles me regardent toutes, semblant attendre que je dise quelque chose. Et voilà, c'est toujours la même chose, elles me laissent faire le sale boulot. Je n'ai pas le choix, elles ont besoin de cohésion, elles sont affamées de conclusion et elles ne supportent pas les cercles qu'on laisse ouverts. Bande d'emmerdeuses. Je me lance:
-         Les filles, du calme. Je vous ai écoutées. Chacune de vous a sa propre personnalité, sa vision des choses, mais ce qu'il nous faut, c'est un peu d'unité. Pour le protocole nous déciderons donc que malgré les difficultés, la vie est une merveilleuse aventure que nous détestons parfois, faite de moments de grâce et d'autres d'intense souffrance, que nous apprenons chaque jour quelque chose que nous aurons oublié le lendemain, que personne n'est coupable mais que nous voudrons souvent pendre le responsable, bien que nous saurons que nous sommes les seules à blâmer, et qu'il n'y a ni récompense, ni punition, seulement une responsabilité que nous refuserons souvent d'admettre. La route est encore longue et parfois nous voudrons mourir, mais à d'autres moments nous ressentirons qu'un instant vécu valait une vie entière. Et maintenant du balai, je veux dormir.

Elles sortent de la pièce en silence, apparemment vaincues par mon discours un peu embrouillé. Mais je sais qu'elles reviendront, tôt ou tard. Après tout, elles vivent toutes dans ma tête.
 


3 commentaires:

  1. Bravo, nous avons tous ces voix qui nous contrôlent malgré nos efforts pour élever notre conscience et vivre notre vie dans l'optimisme et le joie.

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  2. Moi aussi insomniaque tu as de la chance d'arriver à controler cela , pou rmoi la fatigue et l'alcool achève souvent le boulot.
    toi uqi aime apparemnt les séries : united state of tara (//à ton post) tu va aimé

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