23 juin 2011

Salauds de philosophes

Je me suis levée ce matin envahie par une impression étrange, voire inquiétante. J'étais emplie d'une intense sensation de pur bonheur. Sans raison, sans explication. Juste heureuse, aimant la vie, mon prochain, les fleurs, les fourmis, les cieux, les oiseaux et le sushi. Pas les cafards ni les olives. Il y a des limites à tout. Et je ne suis même pas amoureuse.

Sur le chemin qui me mène au travail, je me mis à réfléchir. A la philosophie. A la psychologie. Et au fait que j'avais drôlement envie d'un croissant au beurre, chaud et croustillant.

Depuis l'aube de l'humanité, les hommes cogitent et cherchent désespérément une réponse a cette épineuse question: quelle est la finalité de notre présence sur Terre. Quelle est la raison de notre éclosion cosmique? Pourquoi ne nous a-t-on pas donné plus de renseignements, d'indications, de réponses? Et d'ailleurs, qui aurait dû le faire? Dieu, le cosmos, le grand Rien du Tout? Le sens se trouve-t-il dans la réponse ou dans le questionnement? Pourquoi ne nous a-t-on pas fourni le GPS qui mène au Paradis?
Je réfléchis également au meilleur moyen pour être heureux. Mais je n'avais pas la réponse en magasin. Alors peut-être faut-il, à défaut, trouver la meilleure méthode pour ne pas être malheureux.

D'abord Dieu. Qu'il existe ou non, il reste encore l'ultime consolation et l'espoir suprême de l'homme, et la foi aide encore et toujours les humains à supporter la terreur du chaos, l'implacable finitude de la vie, et la fragilité de leurs destins. Un bien bel idéal que Dieu. Qui étrangement mène souvent les hommes à se massacrer allégrement. Exit le bonheur promis donc.

Et puis il y a les philosophes. Qui sommes-nous, qu'est ce qui nous motive, comment expliquer le fonctionnement du monde et de l'Homme, que se passe-t-il dans nos têtes et où allons nous? Vaste programme.
Platon et le mythe de la caverne, le monde des idées, dont le concept même préexiste à l'homme, Aristote et la suprématie de la recherche méthodique, de la connaissance et de la logique. Déjà à cet époque reculée, alors qu'il n'y avait ni la télé ni Google pour trouver des réponses adéquates, on cherchait la voie du bonheur et on devinait déjà confusément qu'elle passait plus par la pensée que par le monde matériel.

Le bonheur serait une question de perception, un concept aléatoire et arbitraire. Nous ne voyons pas le monde tel qu'il est, mais tel que nous sommes. C'est-à-dire au travers du prisme de nos interprétations personnelles. Le monde en soi est inanimé et dénué d'intentions, seule la pensée humaine lui donne du sens.

Je saute quelques siècles pour en arriver à Kant, un garçon intéressant pour qui "On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter". Puis Schopenhauer déclare: "Le monde dans lequel chacun vit dépend de la façon de le concevoir" et "L'essentiel pour le bonheur de la vie, c'est ce que l'on a en soi-même". Et enfin voilà Nietzsche, qui fait de l'existentialisme sans le savoir et affirme: "Ce qui ne me détruit pas me rend plus fort" et également: "Puisse chacun avoir la chance de trouver justement la conception de la vie qui lui permet de réaliser son maximum de bonheur". Il dit aussi: "Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi". Mais ca, ça ne veut rien dire.

Après Nietzsche, qui pressentait déjà l'existence de courants souterrains dans la pensée humaine, la voie était enfin ouverte à la psychanalyse et à l'inconscient, à Freud cet obsédé et ses disciples et néanmoins ennemis. Les gouffres de la psyché, les pulsions, et les mécanismes de défense, la frustration, l'ombre et la lumière. Son déterminisme pessimiste étant un peu trop noir, on vit alors l'émergence d'une psychologie plus riante, plus confiante en l'homme.
Maslow et Rogers voyaient l'homme maître de son destin, motivé par un besoin intrinsèque de se dépasser et dont la finalité serait d'atteindre la réalisation de soi. Selon ces joyeux allumés du bonheur et de l'optimisme, le bonheur serait une question de volonté et de décision.

Nous savons tous comment souffrir. Chez certains, c'est même devenu un art, une addiction. Mais le bonheur? Quoi comme ça, gratuitement? Comme si on avait été soumis à l'influence d'un opiacé réjouissant?
Oui, comme ça exactement. Les nouveaux philosophes ont empli le XXème siècle de leur sagesse: les Rolling Stones "You can't always get what you want but if you try sometimes, you get what you need", John Lennon "Life is what happens while you're busy making plans", les Beatles: "All you nedd is love", Albert Einstein "Dieu n'est pas mauvais, il est compliqué", Sting "If you love somebody set them free", Woody Allen " La mort est un état de non-existence. Ce qui n'est pas n'existe pas. Donc, la mort n'existe pas", Groucho Marx " Les hommes sont des femmes comme les autres"…
La philosophie est une discipline tentaculaire. Elle est dans les livres comme dans les chansons, les étoiles, le rire, les amis, les larmes, les battements de cœur et l'air que l'on respire. J'ai été longtemps cynique. C'était bien, c'était drôle, c'était grinçant. C'était une armure confortable. Tout était prétexte à la raillerie. Toute cette pseudo-spiritualité, cette recherche du bonheur, cette introspection zen tralala, quelle connerie pour âmes perdues en détresse. Le monde est dur, les gens encore plus et c'est la jungle dehors. A moins que l'on nous prouve le contraire. "On" ne se donne jamais cette peine.
Alors, on a le choix. Le choix de changer progressivement le filtre à travers lequel nous contemplons la vie. Le choix d'essayer de repenser nos schémas un peu tordus, un peu amers. Faire le choix des philosophes. Et maintenant que je les ai tous lus, je me promène pleine d'un optimisme imbécile, débordante d'amour et de compréhension pour l'humanité, comme si j'avais mastiqué des champignons hallucinogènes. Je suis heureuse. La vie est belle. C'est très bête. Quelque chose ne va pas chez moi. C'est la faute aux philosophes. Salauds!


3 commentaires:

  1. Je suis tombé au hasard (via nouvel obs) sur votre page et ma foi je n'ai pas été déçu. Merci pour ce beau texte qui donne le sourire.

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  2. Merci. Comme quoi la philisophie adoucit les moeurs:-)

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