9 juin 2011

Le jardin face à la mer - Petit conte d'été.

Dans un recoin de la promenade qui longe la mer, il y a un petit jardin ombragé, presque dissimulé aux regards par les pins parasols inclinés, égayé  par les couleurs vives des fleurs qui, indisciplinées, débordent des parterres et se répandent sur le sol. Une légère brise marine aux épices iodés s'y glisse par moments, se mêlant aux effluves de l'été. Quelques bancs de bois, à la peinture écaillée, sont disposés un peu au hasard sous les arbres. Des oiseaux sautillent gaiement de branche en branche, gazouillant avec conviction, ajoutant une note musicale à l'ambiance pastorale. Sur la plage, tout près, des enfants courent pieds-nus, se jettent dans les vagues, s'absorbent dans des constructions de châteaux de sable ou encore étirent le long fil de leurs cerfs-volants. La mer bleue et scintillante est calme, le bruit discret et continu des vagues donne à l'ensemble une impression de symphonie parfaite. Le crépuscule approche et déjà dans le ciel, certains nuages se parent de tons dorés et orangés.

Elle arrive à pas traînants, se laisse tomber sur un banc au hasard et ferme les yeux. Elle est âgée d'une cinquantaine d'années. Elle a été belle autrefois, aujourd'hui elle ne ressemble à rien. Ses cheveux sont gras et pendouillent sur ses épaules voûtées, les couleurs de sa robe sont passées. Elle se souvient d'être venue ici souvent avec lui, il y a longtemps. Main dans la main, amants aux yeux brillants et aux sourires complices. Pourquoi est-il parti? Elle ne sait pas, elle ne veut pas savoir. L'amour ce n'est que du malheur, c'est dangereux. Quand il l'a quittée, elle a cru mourir. Mais son cœur a continué à battre, contre sa volonté. Mais elle l'a puni en lui interdisant à jamais de battre à l'unisson avec un autre. Silencieux. Congelé. Plus jamais elle n'aura confiance. Elle préfère être seule. Seule elle contrôle, seule elle est protégée. Elle se lève, il est tard, il faut rentrer, bientôt l'heure du journal télévisé. La mer, elle ne la voit pas.
 

 Il approche à grandes enjambées. Il ressent comme une pression désagréable dans la poitrine. Il s'allonge sur un banc, respirant avec difficultés. Bon, juste cinq minutes de repos, cela devrait suffire. Bientôt il sera l'heure de son rendez-vous, une affaire importante, un gros contrat à signer. Depuis quelques temps déjà, c'est tout ce à quoi il pense. L'argent, l'argent. Depuis que cette salope l'a quitté, il ne fait que travailler pour elle. Comment a-t-elle pu lui faire un coup pareil? Après toutes ces années, elle a pris les enfants et s'est barré en claquant la porte. Au moins maintenant il n'a plus besoin de dissimuler, il peut faire ce qu'il veut. Il accumule les conquêtes, les femmes d'un soir. Toutes des salopes de toute façon. Et geignardes avec ça! Il se sent vide. Allez, c'est l'heure d'y aller, il doit vérifier le taux des actions en bourse avant le rendez-vous. Le chant des oiseaux, il ne l'entend pas
                                                                                                  
C'est juste une gosse. Elle traine dans les rues, désorientée, sans but, sans envie de rien, à part de se laisser glisser. Elle est maigre et pâle, fragile comme un bout de cristal fêlé. Que les parents continuent à la chercher, elle ne reviendra jamais. Peut-être qu'elle passera la nuit ici, sur ce banc. Ils ne comprennent rien, et surtout pas elle. Ils passent leur temps à s'engueuler pour des histories de fric, renfrognés et aigris. Elle a besoin d'une dose, ça la calmera. Au moins pour un moment. Elle a le monde en horreur, elle n'est pas sûre d'avoir envie de continuer à vivre. Finalement elle ne va pas dormir là. Elle ira plutôt chez machin, comment il s'appelle déjà? Pas moyen de se souvenir. Quelle importance? Il aura sûrement quelque chose pour elle. La brise parfumée de la mer, elle ne la sent pas.

Il pénètre dans le petit jardin et s'assied sur le banc qui fait face à la mer. Il regarde autour de lui et se laisse caresser par le vent léger. C'était un bel amour, puissant et enivrant. C'est fini. Son cœur se remplit de larmes, mais son image fait venir à ses lèvres un sourire. Où est-elle aujourd'hui? Il sait que toutes les choses ont une fin, qu'il n'y a pas de bonheur sans souffrance, et que tout change, constamment. Il y a des rumeurs de licenciement au boulot, il se prépare au pire. Peut-être cela sera-t-il finalement une opportunité pour quelque chose de nouveau. Un nouvel endroit, de nouveaux visages, un nouvel amour. Il écoute la musique de la mer, les rires des enfants au loin. Il se sent comme aspiré par le spectacle qu'il contemple, il se sent apaisé et en symbiose avec l'univers autour de lui. Il sent le sang couler dans ses veines, son cœur battre, tout est précis et diffus à la fois. Il se sent vivant et plein d'une énergie nouvelle. Il n'y a plus de passé, il n'y a pas encore d'avenir. Il y a maintenant.



2 commentaires:

  1. Merci pour les 3 posts, j'aime bcp le portrait qu'ils dessinent.
    Bachibouzouk

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  2. Question longueurs et contenu, cela change agréablement des tweets!

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